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Histoires de loups à Cortevaix

Situation actuelle

[Actualisation au 19-05-2021]

Dans la nuit du 15 au 16 mai 2021, deux troupeaux de Cortevaix ont été attaqués par un prédateur, occasionnant la mort directe ou par euthanasie de 18 bêtes et des blessures sur 19 autres. Cette situation très difficile et stressante pour les éleveurs, survient après 9 attaques depuis le 23 avril contre les troupeaux d’ovins sur les communes de La Vineuses-sur-Fregande et Flagy à Villard et Sirot.

Après ces carnages et les dégâts considérables sur les troupeaux du Clunisois, les éleveurs ne peuvent qu’incriminer « canis lupus ». Dans un premier temps l’Office français de la biodiversité, ne reconnait pas le loup comme responsable : « au vu de la taille des morsures, le loup ne serait pas la cause de ces attaques » qui ont causé la mort de tant de brebis et agneaux. Seulement, ce n’est pas du tout la version que les éleveurs veulent entendre et ils crient leur désarroi auprès des autorités. Mais alors, si ce n’est le loup, quel serait donc cet énigmatique « serial killer » auteur de ces carnages ?

Colère et pression des éleveurs à la Préfecture de Saône-et-Loire, insistance du Maire de Cortevaix auprès de l’OFB et du préfet, les actions ne manquent pas pour faire pression sur les autorités afin qu’elles prennent les affaires au sérieux. Enfin, l’OFB sur la base de photos nocturnes, reconnaît le loup comme en étant l’auteur. Le plan loup est déclenché, permettant ainsi une future indemnisation des éleveurs, la protection des troupeaux et le protocole d’intervention sur le loup.

loup dans le clunisois 17 mai 2021
Photo de l'Office Français de la Biodiversité

Le loup est à nouveau présent en S&L depuis 2014 et il s’y est installé au plus tard en 2017. Le 13 novembre 2020, un loup a été abattu, à Saint-Romain-sous-Gourdon, à 20 km de Cortevaix. En ce début de 21e siècle, hormis le monde agricole, l’opinion publique majoritairement urbaine est assez favorable au retour du loup qui a été par le passé l’un des piliers de la biodiversité de notre territoire national. L’introduction d’une meute de loups dans le parc de Yellowstone a démontré que l’impact de cet animal était considérable sur l’enrichissement de la flore et de la faune par la diminution de la population de cervidés.

Entre colère légitime des éleveurs, et attrait des autres pour le retour du loup, s’affrontent deux positions qui paraissent difficilement réconciliables, il faut bien le reconnaître. Ceci dit, il faudra bien trouver un consensus acceptable, permettant de sauvegarder les intérêts des uns et des autres. Par exemple, en montagne, une trop forte présence de l’animal pourrait causer l’abandon du pastoralisme, et par conséquent l’abandon des alpages, de la production fromagère, de laine, de viande, et de l’entretien des paysages d’altitude.

Dans le Clunisois, région de faible altitude (200 à 600m), l’urbanisme dispersé, les exploitations agricoles et les surfaces boisées s’entremêlent harmonieusement, mais ceci rend la présence du loup très conflictuelle. Son retour inattendu a révélé une faille de taille, car ici, depuis sa disparition il y a plus d’un siècle, les éleveurs ont transformé le mode de pastoralisme, fragilisant fortement la sécurité des troupeaux. C’est une différence majeure avec l’élevage de montagne.

Jusque dans les années 1950, les petits troupeaux d’ovins et de caprins paissant sur les communaux de Cortevaix,  étaient surveillés par les enfants ou les anciens, accompagnés de chiens. Le soir le troupeau rentrait à bergerie. Aujourd’hui, les troupeaux sont plus importants, parqués nuit et jour dans de grandes surfaces, non gardés ni par l’homme ni par des chiens. Exception dans le secteur, à Villard il y a un élevage de 600 brebis réparties sur 15 lots, 110 ha et 3 km, mais surveillées par un seul  patou, donc insuffisant.  (Patou = chien pyrénéen  spécialisé contre les attaques de loups et d’ours).

Si le loup est destiné à rester dans le secteur, peut-être faudra-t-il s’inspirer du mode pastoral de haute montagne qui privilégie l’accompagnement des troupeaux par des chiens suffisamment nombreux. Ceci a un coût mais il est à comparer aux dégâts occasionnés aux troupeaux comme au moral des éleveurs. Des aides pour l’acquisition et l’entretien de chiens spécialisés seraient préférables aux indemnisations. Il est à noter que l’acquisition d’un patou se situe entre 900 et 1200€, et son entretien annuel entre 1000 et 1300€, sans compter les autorisations et les assurances car c’est un chien dangereux.

Seuls les grands élevages pourraient envisager de telles dépenses, et à condition que la présence du canidé soit pérenne.

En l’absence de protections efficaces, le loup préfèrera toujours s’attaquer aux brebis tétanisées, plutôt qu’aux agiles chevreuils et aux sangliers agressifs.

L'homme et le loup

Actuellement 530 loups vivent en  France, avec un taux d’augmentation annuel de 20% et un taux de prélèvement par les louvetiers de 10%. Mais chez nos voisins du sud, il n’a jamais été éradiqué. Il existe une relative cohabitation en Espagne où vivent entre 2500 et 3000 loups, puis en Italie : 700 à 1000 spécimens qui sont la souche des loups français, « canis lupus italicus ». Dans les deux cas, ces animaux ne vivent que dans les zones de montagne.

Cet animal mythique a été  la source d’une haine ancestrale, la cause de peurs fondées ou irrationnelles et de légendes qui ont laissé des traces indélébiles dans notre imaginaire collectif comme les loups-garous ou la bête du Gévaudan. Quel enfant n’a pas lu l’histoire du petit chaperon rouge et qui n’a pas eu peur du loup en allant au muguet dans le bois des Brûlées, tout en serrant très fort la main de ses parents ?

Par le passé, les peuples ayant cohabité avec l’ours et le loup avaient beaucoup plus à craindre du premier, qui lui, n‘avait pas peur de l’homme. Et pourtant c’est le second qui a terrorisé des générations de paysans.

Si la peur du loup a traversé les âges, c’est dû principalement à la rage qui en est la cause. Cette terrible maladie transformait ces ancêtres du chien, véloces et dotés d’une grande force, en bêtes extrêmement féroces attaquant leurs proies avec fureur. Désinhibés par la rage de leur propre peur de l’homme, en attaquant leurs proies, ils affichaient un faciès effrayant, tous crocs sortis et crachant de l’écume. L’autre cause était le refroidissement du climat pendant cinq siècles qui a contraint les meutes de loups, durant les longs hivers, à se rapprocher des habitations et des fermes.

Les terribles récits des attaques de loups enragés ont marqué au fer rouge l’imaginaire populaire et on peut le comprendre. La peur du loup est arrivée à son paroxysme entre 1764 et 1767 dans le Gévaudan en Lozère.

Un flou entoure l’histoire de ce loup qui aurait fait jusqu’à 124 victimes. Il y a beaucoup d’hypothèses sur l’origine de cette bête extraordinaire, qui aurait été le fruit du croisement d’un molosse et d’un loup.

De nos jours, la rage a disparu en Europe de l’ouest et le climat s’est réchauffé, ce qui fait que les loups qui recolonisent le territoire n’ont plus pour les humains, la dangerosité de ceux des siècles passés, même s’ils restent des bêtes sauvages qui s’attaquent de préférence aux animaux isolés ou malades, voire aux troupeaux d’ovins.

Relativisons, pas de panique pour les humains ! Aujourd’hui, les promeneurs n’ont pratiquement aucune chance de croiser ce grand canidé dans les bois car il est très rare et sa peur des humains l’éloigne naturellement des bruyants bipèdes, tant qu’il y aura du gibier et que la rage sera absente. Mais pour les ovins, rien n’est gagné !

Hélas, la mémoire est tenace et pourtant, le prévenu a trouvé son maître, « l’homme n’est-il pas un loup pour l’homme » ?

Les attaques du loup enragé à Confrançon en 1775

(Textes Université de Caen – accord de reproduction de textes du Prof.  Jean-Marc Moriceau du 10-05-2021)

Le degré d’horreur atteint par les agressions frappait les contemporains de stupeur et les descriptions qu’ils nous en ont laissé abondent. La situation de bien des curés, placés au cœur des événements était délicate : auprès d’eux les victimes cherchaient les premiers secours, des conseils, des remèdes. Intermédiaires culturels entre leurs paroissiens et l’administration royale, introducteurs à bien des réseaux d’assistance ou d’information, ils étaient confrontés les premiers à la détresse des victimes. En 1775, le curé de Confrançon (Saône-et-Loire), chargé de « consoler » des familles entières et d’apporter de « prompts » secours, confie son désarroi à l’évêque de Mâcon et le prie d’intervenir pour organiser une battue (document 4).

À Confrançon, le ramassage à la fourche par Barat des restes du cadavre de sa femme et la psychose collective qui s’attacha au lieu du drame, en disent long sur l’impact local que laissait durablement le passage éclair d’un loup enragé. Un inventaire général conduirait le lecteur à la lassitude. Aussi nous contenterons-nous de quelques exemples moins anciens pour bien mesurer l’impact individuel que les attaques de loups enragés ont suscité jusqu’à l’époque contemporaine. Le 17 janvier 1831, à Chagny (Saône-et-Loire), un loup furieux renverse et dévore un enfant de 12 ans, à midi, qui s’amusait à casser de la glace dans un fossé, dans un bois lieu-dit « Au Creux de la Canne ». « L’enfant était dévoré : il n’avait plus que les jambes intactes ; le reste n’était qu’un hideux amas de chairs palpitantes et déchirées ». Un cultivateur de Rully, Edme Bligny, occupé à charger du bois, retient le loup qui est abattu par un voisin à coups de hache, mais notre homme, la main percée de part en part, et le nez emporté, succombe à ses blessures le 24 février.

Document 4.

Des morceaux de chair dispersés sur 40 pas.

Tableau de détresse après le passage d’un loup enragé en Charolais en 1775

Source : Arch. dép. Saône-et-Loire, 12 décembre 1775, lettre du curé de Confrançon à l’évêque de Mâcon.

 

« Ma paroisse vient d’être le théâtre du plus horrible et affreux spectacle par le passage d’un loup excessivement enragé, il a tellement mis en pièces une de mes paroissiennes, qu’on a été obligé de ramasser dans l’espace d’environ quarante pas tous ses morceaux de chair, pour lui pouvoir donner la sépulture ecclésiastique*. Plusieurs autres, soit hommes, garçons, filles ont eu le visage emporté et autres parties du corps cruellement lacérées. À l’égard des bestiaux utiles au bien public, surtout bœufs, plusieurs ont été mordus par cette cruelle bête. Bien des paroisses de mon voisinage ont eu le même sort.

En conséquence, Monseigneur, je viens prier votre grandeur aussi attentive qu’intéressée pour le bien général et pour la conservation des droits de l’humanité, de vouloir solliciter Monsieur le Prévôt de la maréchaussée de Mâcon, plein de zèle pour son état, de commander des chasses aux loups depuis les bois de Cluny, jusqu’à la partie qui joint le Charolais ; attendu que dans ce temps-ci, les loups étant en rage ou fureur de leurs nature, plusieurs ont été vraisemblablement mordus, et par la suite nous feraient éprouver toute l’horreur dont je tremble, frémis et tombe encore en syncope quand j’y pense. Cette épouvantable scène est arrivée le 9e du présent mois dans ma paroisse et ledit jour heureusement cet animal carnassier a été tué dans la paroisse de Marizy-en-Charolais, à la faveur d’une paisson considérable de porcs, qui l’ont beaucoup affaibli et ont facilité sa défaite ; cela n’a pas empêché qu’une douzaine de personnes de cette dernière paroisse n’aient été les victimes de ses dents pleines de rage.

Jugez, Monseigneur, si dans la position ou je me trouve, je peux être tranquille, il faut consoler des familles entières ; des malades presque désespérés et procurer à des malheureux de prompts secours ; j’ay adressés tous ceux qui sont en état de soutenir un voyage à Madame la supérieure de l’Hôtel-Dieu de Charolles que je connais, elle a un excellent remède contre la rage, elle a bien reçu mes pauvres malades et leur a déjà administré les secours ; mais il en reste qui par la lacération de leurs bouches, ne peuvent prendre aucun remède ; ce qui fait que l’avenir m’épouvante pour le moins autant que le présent.

J’ay l’honneur de faire des vœux pour la conservation des jours de votre grandeur et d’être avec un très profond respect Monseigneur,

Votre très humble et très obéissant serviteur. »

*Témoignage confirmé par celui du docteur Blais, qui soigna les victimes (Arch. dép. Côte-d’Or, C 25, lettre du 3 janvier 1776) :

« À Confrançon […] cet animal féroce a fait un dégât épouvantable […]. Il a dévoré, déchiré et mis en pièces la femme d’un nommé Barat : cette malheureuse était seule, sans défense et trop éloignée des maisons pour avoir du secours. Cet animal cruel lui a rongé toute la tête jusqu’aux dents ; il lui a déchiré les seins, arraché les entrailles et traîné les boyaux à plus de 40 pas. Cette scène horrible se passait encore pendant la nuit. Quel fut l’effroi des pauvres habitants de cette paroisse lorsqu’instruits des ravages de ce loup par ceux qu’il fit bientôt à Cortevaix, ils trouvèrent les membres épars de cette femme ! Ils reculèrent d’horreur et se mirent à crier affreusement. Personne n’osa plus approcher de cet endroit funeste. Le mari de cette malheureuse fut obligé de venir lui-même et de ramasser avec une fourche les os et les restes affreux de la voracité de ce loup ; lui-même les traîna sur un mauvais drap et bientôt après on leur donna la sépulture. Douze jours après, le lieu où cette pauvre femme a été dévorée était encore teint de son sang que la gelée avait conservé » ; on y voyait un paquet de cheveux et un morceau de la peau du crâne collée contre une motte de terre. »

L’article suivant est issu du portail de la Préfecture de S&L . Date 07/05/2021

"Expertise des attaques de troupeaux sur les communes de La Vineuse et Flagy"

« Neuf attaques de troupeaux ovins sur les communes de la Vineuse-sur-Frégande et Flagy sont recensées depuis le 23 avril. Elles ont impacté six éleveurs, et entraîné la mort de 43 ovins, en blessant 28 autres.

Depuis plus de 10 jours, les lieutenants de louveterie ont été mobilisés par le préfet pour exercer une surveillance des troupeaux la nuit, sur ce territoire. La direction départementale des territoires (DDT) avec l’appui de la chambre d’agriculture a redéployé une partie du matériel de protection délivré l’an passé, au bénéfice des éleveurs du secteur en difficulté.

Par ailleurs plus d’une dizaine de pièges photographiques ont été installés et sont relevés régulièrement par l’office français de la biodiversité (OFB). À ce jour, aucune observation photographique n’a permis d’identifier la présence d’un loup.

L’office français de la biodiversité vient de rendre ce jour ses conclusions, suite à expertise par ses soins des 9 constats établis suite aux attaques.

L’origine du loup est exclue par l’OFB pour chacune de ces attaques. Leurs caractéristiques sont celles d’un type de prédateur doté d’une mâchoire de faible puissance, et conduisent à écarter le loup.

Néanmoins, le préfet a décidé de maintenir dans les prochains jours la mobilisation des louvetiers aux fins de surveiller les troupeaux et de prévenir toute nouvelle attaque.

Il est rappelé aux maires, dans le cadre de leurs pouvoirs de police, la nécessité de sensibiliser la population sur l’interdiction de divagation des animaux domestiques, notamment les chiens, quelle que soit leur taille et leur race. Il convient également que les maires indiquent les coordonnées des personnes à joindre pour signaler tous cas de divagation animale. »

Article paru le 16 mai 2021 JSL : 

"Deux nouveaux troupeaux attaqués cette nuit au nord du Clunisois "

Alors que les éleveurs du Clunisois attendent les conclusions de l’Office français de la biodiversité sur la présence – ou non – du loup dans le secteur, deux nouveaux troupeaux ont été attaqués cette nuit.

« Les éleveurs sont excédés. Ils disent que ça va « mal finir » si des décisions ne sont pas prises ». Ce dimanche matin, Jean-Luc Fonteray, conseiller départemental du canton de Cluny évoque un « carnage » à Cortevaix, où deux troupeaux ont été attaqués dans la nuit de samedi à dimanche. Selon le vétérinaire, 14 bêtes sont mortes, sur le coup où euthanasiées et 19 sont blessées dans le premier troupeau et quatre sont mortes où euthanasiées dans le deuxième troupeau. Une attaque de plus dans une série déjà bien longue.

Cette attaque intervient alors qu’une photo, prise la nuit d’avant (vendredi à samedi) avait relancé la piste du loup dans le Clunisois. Si pour les éleveurs, la photo était une preuve de plus de la présence du loup, Jean-Pierre Goron, le directeur de la direction départementale des territoires de Saône-et-Loire (DDT 71), restait, lui, très prudent et disait attendre les conclusions des photographies, qui devraient être rendues en début de semaine. De quoi faire monter encore un peu la pression entre l’Etat et les éleveurs, déjà à crans«